Dans l’ombre d’Émeline Santerre, une autre figure se dessine : celle de son mari, Daniel Vautrin. Homme d’affaires au passé trouble, déjà impliqué dans plusieurs faillites retentissantes à Lyon, il orchestre en coulisses rachats et manœuvres financières.
Derrière Danae et Santerre, Daniel Vautrin…
Pendant plus de vingt ans, Emagineurs a été une agence de marketing digital reconnue, forte d’une quarantaine de salariés et d’une solide réputation auprès de ses clients. Une success story à la française. Jusqu’à l’arrivée de Daniel Vautrin.
Début 2021, l’homme d’affaires reprend l’agence, épaulé par A Plus Finance et Atlantic Financial Group. Dans la foulée, d’autres structures basées à Tours et Orléans sont rachetées, puis regroupées sous une même bannière. La stratégie semble claire : consolider, grossir, séduire un futur acquéreur.
En 2023, Emagineurs est revendue à Alan Allman Associates. Le discours officiel se veut triomphant : « Nous sommes fiers d’annoncer que les marques Atmosphère Communication, Day on Mars, Evisiance, Evisiance Talent, Force Interactive, Les Forces Motrices, FRSH, Hotanka et Paul Fréa deviennent Emagineurs », proclame un communiqué publié sur Linkedin fin 2024.
La réalité, elle, est bien plus sombre. Moins d’un an après cette annonce, en mars 2025, la liquidation brutale du groupe est prononcée. Un scénario travaillé : croissance artificielle, effets d’annonce, puis effondrement. La mécanique Vautrin.
Témoignages de l’intérieur
Un salarié de longue date chez Emagineurs a vécu de l’intérieur les deux grands rachats qui ont mené à la chute de l’entreprise. Dès la première cession, il constate un changement. Mis à l’écart des instances de décision, il observe pourtant de près les stratégies mises en place. Selon lui, les choix opérés relèvent davantage d’un montage financier que d’un projet industriel : transferts budgétaires entre entités, « cavalerie » financière pour renflouer les filiales déficitaires, répartition des salariés entre structures afin de rester sous le seuil de 50 employés et éviter certaines obligations sociales.
Atmosphère, une agence de communication basée à Angers, et qui deviendra Emagineurs lors de la fusion, avait déjà changé de mains avant l’arrivée de Daniel Vautrin. Une structure parisienne l’avait rachetée, mais la crise du Covid ralentit l’activité. L’acquéreur revend rapidement, et c’est à ce moment que Vautrin entre en scène. « Il a flairé le bon filon et a racheté Atmosphère, probablement à bon prix. », selon un ancien salarié d’Atmosphère.
« Il est arrivé plein d’envie, raconte-t-il. Mais très vite, il a nommé deux directeurs généraux pour gérer le quotidien. Vautrin, lui, nous ne l’avons quasiment jamais vu à Angers. Deux ou trois fois tout au plus, quand nous sommes montés à Lyon. C’était un personnage hors sol. Ce n’était pas son métier, il tenait des propos fumeux, parlant de tout et de rien, jusqu’à la cryptomonnaie, alors que nous, nous faisions de la communication… »
Dans un premier temps, l’équipe croit malgré tout au projet.
« Pendant un an ou deux, on avait l’impression que ça pouvait fonctionner. Mais lorsque le groupe a été repris par Alan Allman Associates, tout a commencé à se fissurer. »
Avant cette revente, Vautrin avait racheté trois agences supplémentaires à Tours et Orléans — Force Motrice, Force Interactives et Paul Fréa.
« Mais c’est encore une fois les directeurs généraux qui nous ont appris la nouvelle. On a compris plus tard que ces acquisitions avaient surtout pour but de gonfler artificiellement les effectifs, afin de revendre plus cher. Même les DG le reconnaissaient. »
Explique un ancien salarié d’Atmosphère.
Un objectif clair : revendre au meilleur prix
Selon lui, l’objectif de Vautrin, accompagné d’Émeline Santerre, était clair : constituer un groupe pour le revendre au meilleur prix. Au printemps 2023, ce scénario se confirme : Vautrin cède l’ensemble à Alan Allman Associates. L’opération, selon l’ancien salarié d’Emagineurs, s’est conclue à un prix largement supérieur à la valeur réelle — « au double », estime-t-il — grâce à une présentation embellie des résultats et à des informations financières dissimulées aux acquéreurs.

Selon les anciens salariés, Daniel Vautrin avait eu deux options dans le rachat de l’entreprise : soit vendre au prix fort et rester au sein de l’entreprise pour s’assurer que l’achat soit viable et que l’entreprise soit perenne, soit encaisser une partie de la vente seulement puis disparaître, sans se soucier de l’avenir de la structure. Vautrin a choisi la deuxième option, et n’a plus jamais donné de nouvelles.
Le jeu trouble des repreneurs
Son ami Éric Bonnet prend brièvement la direction générale après son départ. « Mais il n’a pas tenu longtemps. Pour Alan Allman Associates, soit il était au courant des manigances de Vautrin et il était complice, soit il ne l’était pas, et c’était alors une faute professionnelle. Dans les deux cas, il était responsable, et Alan Allman Associates l’accusait de jouer un “double jeu”. Il a fini par être écarté après 6 mois, malgré la situation critique de l’entreprise, et lui-même a rompu toute relation avec Vautrin. »
Chez Alan Allman Associates, les failles apparaissent vite : faible rentabilité, disparités entre services… Sans expérience dans le secteur, les repreneurs cherchent à bâtir un pôle communication en rachetant d’autres sociétés, mais sans stratégie claire. Deux nouveaux directeurs prennent le relais, « beaucoup moins impliqués et inspirant beaucoup moins confiance. On sentait qu’il se tramait quelque chose, sans imaginer une liquidation judiciaire immédiate. », se souvient l’ancien salarié d’Atmosphère.
La liquidation brutale
Constatant qu’ils ne pourront jamais rentabiliser leur investissement, les dirigeants prennent une décision brutale : déclarer l’entreprise en cessation d’activité. Le jeudi 27 mars, la nouvelle tombe. Chez Atmosphère, personne ne s’y attendait : « Une journée banale, nous travaillions normalement quand, à 17 heures, on nous convoque en visio. Un homme que nous ne connaissions pas, mandaté par Alan Allman Associates, nous annonce qu’il sort du tribunal de commerce. Il dit : “Je suis au regret de vous annoncer que vous êtes liquidés à partir de ce soir. Merci de laisser votre matériel à l’agence. Demain, vous ne revenez pas, vous n’appelez pas vos clients. Le liquidateur les contactera. Tous les dossiers en cours doivent être laissés en l’état.” ».
Un choc. « 23 ans dans cette agence, balayés en une heure de visioconférence. » Certains collègues en déplacement l’apprennent par téléphone. Les salariés découvrent alors que la procédure avait été engagée onze jours plus tôt. « Même si c’était court, on aurait aimé être prévenus. Pas une heure avant. »
Partout, l’annonce se fait dans l’urgence, par téléphone, laissant un sentiment de trahison. Pour les anciens salariés, la supercherie est double : Vautrin a sciemment enjolivé les bilans pour convaincre Alan Allman Associates ; et les repreneurs, séduits par son train de vie fastueux et son numéro de charme stratégique — voitures de luxe, bateaux, réunions prestigieuses à Paris — ont « mordu à l’hameçon », sans réaliser d’audit complet. Une imprudence flagrante, alors que le groupe est spécialiste de l’analyse financière.
Après la tempête
Aujourd’hui, des actions judiciaires sont engagées ou en cours entre Alan Allman Associates et Daniel Vautrin. Émeline Santerre et Daniel Vautrin, eux, ont disparu d’internet. Leurs réseaux professionnels ont été supprimés. Introuvables en France, ils auraient quitté Barcelone pour s’installer au Maroc, afin d’échapper à la justice française.