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IAIntelligence artificielle

SophI.A Summit : un sommet là où l’IA rencontre toutes les strates de la société

Par Alexandre Foumangoye | Publié le 09/12/2025

Du 19 au 21 novembre, le Sophia Antipolis, plus grande technopole d’Europe, a accueilli la huitième édition du SophI.A Summit, événement désormais incontournable pour tous les acteurs de l’intelligence artificielle. Organisé par l’Université Côte d’Azur, la Communauté d’Agglomération Sophia Antipolis et le Sophia Club Entreprises, avec le soutien du Département des Alpes-Maritimes, ce sommet s’est imposé comme le laboratoire européen d’une IA éthique, responsable et au service de l’humain. Cet événement se veut être, à terme, un think tank pour tous ceux qui veulent faire avancer cette révolution industrielle qu’est l’intelligence artificielle. 

Un événement sans star, mais avec panache

Le SophI.A Summit, ce n’est pas le seul joyau de la couronne de la technopole qu’est Sophia Antipolis. La technopole, créée en 1969 par Pierre Laffitte, alors sénateur des Alpes-Maritimes, accueille chaque année d’innombrables conférences. « La science à Sophia », le Challenge Jeunes Pousses, Expositions de la Fondation Sophia Antipolis, « Les Jeux de Sophia », la Riviera DEV, l’Azur Tech Winter : autant de conférences de haut niveau qui luire la grande technopole qu’est Sophia Antipolis.

Sophia Antipolis, c’est d’abord une idée. L’idée de concentrer les plus grands cerveaux de notre pays dans un endroit d’expression, faire avancer la recherche technologique, et enfin « dépeupler » les centres-villes. En 1960, Pierre Laffitte, directeur de l’École des Mines de Paris à l’époque, veut son « Quartier Latin aux champs », une « Florence du XXIe siècle ». Sophia vient de Sophie, le nom de l’épouse de Laffitte. Antipolis, lui, c’est Antibes, en grec ancien. La Grèce antique, premier hub technologique des temps modernes, Sophia Antipolis prend des allures même prophétiques. 

Le développement du sommet depuis 2018

Alors quand le SophI.A Summit, est créé en 2018, la technopole est en quête de renouveau et d’idées neuves. L’idée derrière ce sommet de haut niveau est de réunir les cerveaux les plus performants de notre génération. Chercheurs, industriels, décideurs, académiques pour débattre et réfléchir aux « enjeux sociaux, légaux, éthiques, économiques et de souveraineté » liés à l’IA, plutôt que de considérer l’IA comme une simple technologie. L’idée sur le papier est bonne, maintenant ne reste plus qu’à la matérialiser.

Une montée en puissance confirmée en 2025

7 ans plus tard, le constat est sans appel : l’événement (sur 3 jours) est un succès total. L’événement peut même être suivi en distanciel, moyennant une somme certaine. Le pari est réussi. Un an auparavant, en 2024, ce sont même 400 participants qui ont assisté à la conférence. Le succès du sommet a permis de poser les bases pour un ancrage plus profond de l’IA à Sophia Antipolis, notamment à travers le soutien à la création de l’institut 3IA Côte d’Azur (un des quatre instituts interdisciplinaires d’IA en France). Cette année 2025, le professeur émérite de l’Université de Californie à Berkeley Michael I. Jordan (à ne pas confondre) devait même être présent et intervenir au SophI.A Summit. Malheureusement, un contretemps l’en empêchera en dernière minute.

Un événement estampillée ALPES-MARITIMES

Ce qui rend d’autant plus fiers les habitants de Biot, Nice, et les alentours de la technopole : c’est la fierté de dire que leur Sophia Antipolis, c’est bien grâce à leurs municipalités et rien d’autre. En effet, nombreux sont ceux qui nous disent en off que ce sont les différentes collectivités locales qui ont créé les événements auxquels on assiste. « L’Etat n’a rien fait ici. C’est le département des Alpes-Maritimes, la communauté d’agglo’ (communauté d’agglomération Sophia Antipolis), et le 3IA qui ont tout fait et ont mis les billes nécessaires. » nous dit-on fièrement.Le sud est, historiquement, toujours un peu lésée par les grands pontes se trouvant au Nord. Le contraste est d’ailleurs avec une autre « Silicon Valley » voulue, elle, par l’Etat : Paris-Saclay.

Les difficultés structurelles du cluster parisien

Celle-ci, comparée à sa sœur sudiste, a encore aujourd’hui beaucoup de mal à trouver un rythme. « Rien que pour les bâtiments académiques, l’Etat a mis 1 milliard d’euros sur la table » déclare même l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur Retailleau. Imaginée par le Général De Gaulle en 1950 et accélérée par le président Macron en 2017, le cluster, qui doit devenir à terme un hub technologique international, patine. Plusieurs facteurs expliquent cela : la mobilité. En effet, la ligne de métro 18 qui devait traverser le hub ne sera en service qu’en 2026. La gare RER la plus proche est à presque 10 km ! « Pour les entreprises basées à Saclay, c’est un vrai sujet lors des recrutements, car on y réfléchit à deux fois avant de faire trois heures de trajet aller-retour », insiste Julien Duquesne, cofondateur de la start-up Scienta Lab.

L’argent, également, est un souci majeur : l’État et la région traînent des pieds maintenant pour mettre la main à la pâte. Donc même si cela n’empêche pas des milliers de doctorants de venir sentir goûter à l’odeur des fils et des micro-processeurs (70.000 étudiants), beaucoup veulent se rapprocher du cadre proposé dans le sud !

Donc le chauvinisme exprimé par beaucoup dans la région des Alpes-Maritimes peut se justifier.

L’importance des panels pour un regard pluridisciplinaire sur l’IA dans la société

Des thématiques scientifiques variées et ambitieuses

Cette année, malgré l’absence remarquée du professeur Jordan, les panélistes installés au Mouratoglou Hotel Resort se sont attelés à présenter les dernières avancées dans le domaine de l’intelligence artificielle et de ses applications. Que ce soit dans la biologie, la santé, la mobilité, les applications intelligentes, et même la musique : aucun sujet n’a été éludé. Du 19 au 21 novembre, ce sont 30 intervenants qui sont montés sur la chaire de la salle de conférence de l’hôtel, spécialisé dans le tennis. 

L’intervention de Frédérique Vidal : IA et éducation

Frédérique Vidal, ancienne ministre de l’Enseignement Supérieur pendant tout le 1er quinquennat Macron, aujourd’hui directrice stratégie impact scientifique à Skema Business School et sudiste de naissance, s’est exprimée sur l’intelligence artificielle et l’éducation. Biochimiste de formation et professeur des universités, son panel portait sur comment l’IA désensibilise les jeunes au goût d’avoir un professeur qui nous fait apprécier une matière par sa manière d’enseigner.

Pour Vidal, la désocialisation des jeunes avec l’enseignement avait déjà commencé avec Internet. L’IA est, pour elle, utile pour les explorer de nouvelles informations, mais que l’humain restera toujours le facteur X pour sensibiliser les jeunes au savoir. Elle est passée à nos micros pour nous expliquer son regard sur le développement de l’intelligence artificielle :

« J’ai l’occasion de voir, en tant qu’ancienne directrice d’université, le développement de très près, ainsi que tout ce qui est l’innovation pédagogique. […] On doit repenser notre façon de travailler, de revoir l’éducation, de bosser à l’ère de l’intelligence artificielle, de faire de la recherche. » Nous dit-elle. Sur la question de la régulation sur l’intelligence artificielle voulue par le gouvernement, l’ancienne ministre nous répond : « Il y a énormément de régulation concernant l’IA. Maintenant, la question est : comment dans le monde de l’éducation, on peut se positionner par rapport à cet outil ? Comment définir les règles éthiques ? C’est un travail qui doit se faire dans le monde académique et dans le monde de l’éducation. ».

L’apport de Jaspreet Kaur Dhanjal : IA et médecine

Jaspreet Kaur Dhanjal fut l’intervenante sur le volet médical, ou peut intervenir l’IA. Plus exactement : la cartographie de la résistance à l’axitinib contextuelle via la multi-omique et l’IA explicable. En français, cela veut dire identifier et comprendre précisément pourquoi certaines cellules cancéreuses deviennent résistantes à un médicament (axitinib). Le tout en analysant de très nombreuses données biologiques à différents niveaux, puis en utilisant une IA capable non seulement de trouver les causes, mais aussi d’expliquer clairement ses conclusions.

Jaspreet Kaur Dhanjal est une assistante professeure à la Indraprastha Institute of Information Technology de New Delhi en Inde. Accompagnée de son assistante, elle a, pendant 35 minutes, expliqué et tenté de condenser le travail de sa vie. Selon elle, « La résistance constitue un obstacle majeur au succès à long terme des thérapies ciblées contre le cancer. Des médicaments comme l’axitinib, un inhibiteur du récepteur VEGF doté d’une activité anti-angiogénique, sont bénéfiques aux patients atteints de plusieurs cancers, mais induisent des réponses très variables en raison d’adaptations moléculaires spécifiques à chaque tumeur. ».

Elle s’est exprimée à nos micros à ce sujet : « Quand on parle de cancer, un patient va chez le docteur pour faire des tests, mais certains patients ne répondent pas bien à ces tests. Ce qu’on a anticipé, c’est de classifier les facteurs de certains patients qui causent cette résistance. On doit inhiber certaines fonctions, mais également trouver d’autres protéines qui feront le travail de guérison. On essaie de trouver différents composants hors cadres traditionnels pour soulager nos patients et les rendre moins anxieux aux traitements. C’est le cœur de notre métier. »

La musique, un secteur où l’IA compte bien s’imposer férocement

Le parcours singulier de François Pachet

Enfin, sur un volet un peu plus léger, un panel a particulièrement retenu notre attention, c’est celui sur la musique et l’intelligence artificielle. Celui-ci fut chapeauté par François Pachet. François Pachet, c’est 25 ans dans l’industrie musicale, mais pas celle à laquelle on pense. En effet, en qualité de scientifique et de chercheur, il est l’un des pionniers de la musique informatique étroitement liée à l’intelligence artificielle. Il fonde en 1997 le Sony Computer Science Laboratory Paris, c’est-à-dire une division du groupe Sony pour développer les métadonnées pour améliorer l’expérience musicale et l’écoute de la performance.

Il fut également directeur du laboratoire de recherche technologique Spotify Creator, où il a conçu la prochaine génération d’outils basés sur l’IA pour les musiciens. Autant dire, un parcours assez singulier qu’il l’a emmené une bonne partie de sa carrière à réfléchir sur comment l’intelligence artificielle allait impacter de manière durable la musique, et notre perception de la musique. Sur une notre plus légère, il a produit un album multi-artistes avec l’artiste belge Stromae nommé Hello World, composé entièrement avec l’intelligence artificielle.

IA, créativité et avenir de la composition

Durant ce panel, Pachet nous explique comment l’IA ne peut dupliquer que ce qu’elle sait et que le monde aura toujours besoin de la créativité et l’IA pareil pour dupliquer.

Sur nos micros, il nous confie : « Il y a une spécificité européenne, une passion, pour la régulation. Il y a une longue tradition de recherche musicale en France, depuis les années 70’ je pense. Pour l’IA, il y a des spécificités. Niveau recherche, tout est très mondialisé. Le financement pour la recherche n’est pas très bon en France, mais un gros financement au niveau européen. […] Ça ne sert à rien d’avoir peur de l’IA. On retrouve cette même peur que lorsque le synthétiseur est arrivé dans les années 90 ou encore ‘Internet dans les années 2000. C’est une peur générationnelle qui va s’essouffler, car, à la fin, l’IA aura toujours besoin de l’humain et de sa créativité pour avoir une base de référencement. »

Les organisateurs ont exprimé la volonté de croiser les expertises et de réfléchir ensemble à une IA durable et contrôlable d’un point de vue économique et social. Cette ambition traduit une préoccupation croissante face aux dérives potentielles de l’IA : biais algorithmiques, atteintes à la vie privée, concentration du pouvoir technologique, impacts environnementaux des data centers, ou encore risques liés à l’autonomisation des systèmes.

Le SophI.A Summit se positionne ainsi comme un espace de réflexion collective où la technologie est questionnée, débattue et orientée vers le bien commun. Chaque édition confirme une conviction : l’intelligence artificielle ne vaut que si elle éclaire la société qu’elle transforme.