C’est un partenariat qui pourrait bouleverser le paysage médiatique mondial. En annonçant son rapprochement avec Kalshi, la principale plateforme américaine de marchés de prédiction, CNN devient le premier grand média international à intégrer officiellement des probabilités issues de marchés financiers dans son processus éditorial. Une décision qui marque un tournant majeur dans la manière de produire, d’analyser et de consommer l’information.
Un journalisme aux allures de Wall Street
Attentats, coups d’états, finale de coupe du monde, élections présidentielles. À l’accoutumée, pour en prédire les résultats, il fallait se tourner vers Wall Street, le bookmaker du coin ou alors des instituts de sondages . En effet, ces prédictions sont plus plausibles sur des schémas financiers que des plateaux télés. Cette ère est désormais révolue. Depuis plusieurs années, les marchés de prédiction ont gagné en visibilité aux États-Unis. Leur principe étant de permettre à des milliers de participants de parier (légalement) sur la probabilité d’un événement futur. Tout devient un contrat dont la valeur reflète la croyance collective sur l’issue la plus probable. Avec CNN, elles entrent pour la première fois dans une salle de rédaction mondiale.
Pour CNN, 3ème chaîne d’info en continu aux Etats-Unis, l’objectif est clair : offrir au public une information plus précise. Mais également plus transparente et surtout objectivée. Plutôt que de s’appuyer uniquement sur les sondages, les experts ou les analyses internes. Le média entend désormais intégrer la dynamique des marchés Kalshi pour éclairer les tendances futures. En clair, les téléspectateurs verront bientôt apparaître à l’antenne des indications du type : « Probabilité de récession : 57 % selon Kalshi » ou « Victoire du candidat X : 64 % selon les marchés ».
Une évolution journalistique qui brouille les frontières
Cette évolution, inédite dans le monde de l’information, s’inscrit dans une transformation plus large du journalisme. Longtemps centré sur le récit factuel, il glisse progressivement vers un journalisme de données, qui cherche à anticiper et à quantifier les évolutions politiques, économiques ou sociales. En s’associant à Kalshi, CNN assume pleinement cette mutation vers un journalisme probabiliste, inspiré des méthodes utilisées par les analystes financiers. Une manière de prédire même l’information avant qu’elle n’arrive. De quoi faire dans le journalisme “prophétique” !
Les défenseurs de cette innovation y voient une manière de lutter contre l’incertitude informationnelle, les biais d’experts et les erreurs de prédictions électorales. Les marchés, agrégateurs d’intelligence collective, seraient plus robustes que les opinions individuelles, car les participants engagent leur argent et non de simples déclarations d’intention. Pour CNN, cette approche renforce sa crédibilité dans un contexte où le public exige davantage de preuves chiffrées. Cela rapprocherait à terme, selon certains experts, le journalisme de l’analyse comportementale, voire de l’économie comportementale.
Mais cette révolution soulève aussi des questions. À trop s’appuyer sur les marchés, les médias risquent-ils de donner une vision trop financière du monde ? Ces marchés sont-ils totalement immunisés contre la manipulation ? Et comment garantir que la donnée probabiliste ne devienne pas une prophétie auto-réalisatrice, influençant elle-même les événements qu’elle prétend mesurer ? Le journaliste pourrait devenir, à terme dangereusement, un analyste financier
Quoi qu’il en soit, ce partenariat inaugure une nouvelle étape : celle où l’information ne se limite plus à raconter le présent, mais tente de mesurer le futur en temps réel. Avec Kalshi, CNN ouvre une voie que d’autres médias suivront peut-être bientôt. Une chose est sûre : le journalisme n’a pas fini de se réinventer. C’est littéralement un nouveau modèle médiatique, où la frontière entre data, finance et information s’efface.
