A l’impossible, nul n’est tenu…sauf si on s’appelle Pauline Déroulède. A 34 ans, la jeune femme s’impose comme une voix féminine porteuse, une voix qui porte en elle un combat fort : faire passer une loi qui instaure une visite médicale obligatoire pour tous les conducteurs, tous les 15 ans, et tous les 5 ans à partir de 75 ans. Pourquoi ce combat ? Parce qu’elle a été victime d’un accident de la route en 2018, lequel lui a coûté une jambe et bien plus…Pauline Déroulède est une survivante, une combattante, une militante, un modèle de résilience. Elle est aussi une joueuse de tennis fauteuil de talent dont chaque coup illustre sa soif de vie et d’envie d’être de la partie et pour longtemps ! Habitée par la rage d’exister, Pauline Déroulède est aussi drivée par le goût de la transmission, notamment auprès des plus jeunes.
De la (presque) mort à la vie !
« Sur un court, je me sens bien, en vie et surtout, je me sens à ma place », raconte celle à qui la finale en double, à Roland Garros, a échappé de seulement deux petits points ! Face au duo chinois Xiaohui Li et Ziying Wang, le match a tenu toutes ses promesses : intensité, suspense et engagement. Chacun a pu voir sur le court le mental d’une combattante de tous les instants. Et quand dans les gradins, on assiste à un match de Pauline Déroulède, on ne peut que se demander comment fait-elle, d’où tire-t-elle cette énergie et cette force…Celle à qui il manque une jambe, celle qui a vécu l’enfer d’un accident qui a brisé un quotidien, celle qui a su rebondir malgré les épreuves…La réponse est dans le mental de cette athlète hors norme, dans son ADN résolument positif et dans un réseau puissant sur lequel elle a pu et continue à s’appuyer. Celle qui n’est pas encore une championne de tennis fauteuil voit le cours de sa vie basculer en octobre 2018. « J’attendais ma compagne, partie chercher des fleurs. Je m’étais garée rapidement avec le scooter sur le trottoir et m’étais assise dessus. J’ai été soudain percutée par l’arrière. A ce moment-là, je ne comprends pas ce qui se passe. Je pense d’abord à un attentat. Cela va très vite dans ma tête. C’est plus tard qu’on me racontera ce qui s’est passé réellement. On va d’ailleurs me dire au départ que c’est un monsieur d’un âge certain qui a fait un malaise ! L’enquête révèlera qu’il a en réalité confondu le frein avec l’accélérateur. J’ai été fauchée à plus de 80 km/h. Je sens qu’il se passe quelque chose, il y a plein de monde autour de moi. Je vois qu’il me manque un bout de ma jambe. C’est inexplicable. Je suis en vie, c’est la bonne nouvelle. Mais j’ai perdu ma jambe, je vois ma vie d’avant défiler et prends très vite conscience qu’il y a maintenant la vie d’après. Je suis touchée dans ma chair, moi, qui a toujours accordé une très grande importance au corps, en l’exerçant comme je voulais, en pratiquant notamment le sport à outrance ». En octobre 2018, la vie de Pauline Déroulède bascule. Elle rentre en guerre contre son corps meurtri et amputé, contre ces conducteurs qui détruisent la vie des autres parce que plus en état de conduire de façon sécurité, contre l’immobilisme des pouvoirs publics, contre ce destin qui l’emprisonne…Et comme dans tout combat, il lui faut une arme. Ce sera le tennis, un sport qu’elle pratique depuis toute jeune. « Le tennis m’a sauvé la vie, tout simplement ! »
Rendre possible ce qui à première vue est impossible !
Quelques heures après son accident, Pauline Déroulède annonce à sa famille qu’elle va faire les Jeux Paralympiques de 2024 ! Si certains doutent, sûrement pas elle, dopée par la gagne et l’esprit de revanche sur la vie et ses accidents. A l’hôpital militaire de Percy, pendant un an, entre opérations et rééducation, Pauline Déroulède réapprend à marcher…avec une prothèse. « Si on m’avait que cinq après mon accident, je serais à nouveau debout pour porter la flamme olympique à Paris en 2024, je n’y aurais jamais cru ! » Car oui, le 24 juillet 2024, Pauline Déroulède n’était pas peu fière de porter la flamme olympique dans sa ville de Boulogne-Billancourt. Un moment fort en émotion. Un passage de relais qui témoigne aussi de cette volonté de transmettre. « Porter la flamme, c’est aussi porter un message, dire à celles et ceux qui ont subi la même chose que moi que tout est possible à condition de le vouloir. Si j’ai été anéantie les premiers instants, j’ai toujours été animée par un élan vital. Dès que j’ai commencé la rééducation, dès que j’ai repris possession de mon corps, j’ai retrouvé ce goût de l’effort que je cultivais plus jeune en pratiquant le cross-fit ou en jouant au tennis. Je dirais même qu’il était encore plus exacerbé qu’avant ! Je me suis remise à fond et la vie a repris le dessus. Je n’ai alors eu plus qu’un objectif : faire les Jeux Paralympiques de 2024 ! » Si Pauline Déroulède réussit à atteindre ce dernier, ce n’est pas seulement pour se prouver quelque chose à elle-même mais c’est aussi pour redonner à toutes celles et tous ceux qui l’ont accompagnée pendant ce long parcours, parfois dur et semé d’embûches. « Dès mon accident, j’ai reçu un soutien indéfectible de mes proches comme de tous les soignants. Certains sont parfois sortis de leur rôle pour m’écouter ou me redonner la force d’y croire. Aujourd’hui, mon combat réside aussi dans cette volonté de redonner, de transmettre ». Aider les autres, notamment les personnes en situation de handicap, marteler sans cesse qu’à première vue, quand tout laisse penser que c’est impossible d’accepter, de se relever, de se remettre, on doit pourtant continuer à croire en l’inverse. « Que ce soit dans les écoles ou les entreprises, ou bien même lors de conférences et de séances de mentorat, c’est ce message, tiré de ma propre expérience, que j’ai envie d’inculquer. C’est en dehors du tennis une autre mission que je me suis fixée et qui donne du sens à mon quotidien, comme à ce qui m’est arrivé ».
Appliquer le concept de résilience au monde de l’entreprise
Lorsque Pauline Déroulède ne performe pas sur un court de tennis, elle le fait en entreprise. « J’aime aller à la rencontre d’autres univers que ceux habituels. On parle beaucoup de résilience aujourd’hui. C’est un concept qui est complètement adaptable au monde de l’entreprise. On y passe la majeure partie de notre temps. Depuis le COVID, il y a une vraie demande à remotiver les troupes, à fédérer. Pour moi, la résilience est universelle et s’exerce à différents niveaux. Vous savez, il n’y a pas de hiérarchie dans la douleur. J’ai vu et continue à voir beaucoup de souffrance au travail. Il faut absolument retrouver du sens dans ce qu’on fait et le goût de ce qu’on fait. C’est un retour à l’essentiel. Je dis souvent qu’il faut accepter d’aller mal pour aller mieux et trouver les armes qui nous aident à aller mieux. Pour moi, ça a été le sport mais pour d’autres, ça peut être l’art ou toute autre discipline. On peut basculer dans le camp des victimes en très peu de temps. Alors, il ne faut pas attendre d’en arriver là pour s’exprimer, libérer sa parole. Un discours qui délie les langues en interne ». Voilà comment Pauline Déroulède intervient en entreprise, en calquant son parcours sur celui des équipes qu’elle rencontre, en élargissant la notion d’accidenté de la vie à ces collaborateurs proches du burn-out. Sa conviction est aussi d’intégrer le sport dans la vie de l’entreprise. C’est un formidable levier pour agir sur la santé mentale. Le sport offre un sas de décompression. Par le sport, on développe la cohésion, le sens du collectif et par extension, la performance collective. Et quand on l’interroge sur le handicap et l’inclusion, sa vision reste optimiste même si pour elle, il reste encore pas mal de choses à mettre en place dans les entreprises et la société en général. D’où l’intérêt d’aller à la rencontre des publics, les plus jeunes en particulier, pour démystifier le handicap. Même si l’après JOP a généré des déceptions dans le monde du parasport et du sport plus globalement, Pauline Déroulède estime qu’il faut relancer la machine et continuer à donner envie aux jeunes, à les faire rêver grâce au sport.
Tenace et engagée sur tous les terrains
Si Pauline Déroulède est une sacrée battante sur les courts de tennis, elle est l’aussi sur la scène politique. En effet, elle milite depuis plusieurs années pour la fin du permis de conduire à vie et surtout, l’adoption d’une loi qui contraindrait les conducteurs à passer une visite médicale, tous les 15 ans et tous les 5 ans, dès 70 ans. La proposition de loi a été déposée début avril à l’Assemblée Nationale. Il faut qu’il soit maintenant voté mais cela prend du temps. La triple championne de France de tennis-fauteuil, marraine d’ici Paris Île-de-France pendant les JOP, espère que ce sera le cas à l’automne prochain. Elle sait que la loi passera, pour elle, il n’y a plus de débat et c’est déjà une belle victoire. « J’ai besoin d’aller au bout des choses. Mon engagement est sans faille lorsque la cause me tient à cœur et a du sens pour le collectif. Je crois que je tiens cela de mon arrière-arrière-grand-oncle, Paul Déroulède, l’esprit nationaliste en moins ! »



Pauline Déroulède en bref
- Née le 30 décembre 1990
- Les figures qui l’inspirent : Rafael Nadal (of course !), un modèle d’exemplarité, pour sa ténacité, sa combativité, sa proximité et son humilité. Pauline a d’ailleurs eu la chance de le rencontrer. « Un homme solide, qui travaille jusqu’au dernier point », comme elle aime à dire.
- Jean d’Ormesson, un modèle d’humanité et de longévité. Brillantissime, charismatique, un homme de lettres qui a eu une belle vie et en a fait quelque chose. Animé par un esprit positif à toutes épreuves. « La simplicité avec laquelle il voyait les choses m’a beaucoup inspirée ».
- Boris Cyrulnik, inventeur du concept de résilience…et aux côtés de qui Pauline a eu chance d’animer une conférence.
- Son cheval de bataille : œuvrer pour faire passer la loi sur la sécurité routière et imposant un examen médical tous les 15 ans aux conducteurs (tous les 5 ans dès 70 ans).
- Son mantra : la vie donne les plus durs combats à ses plus solides soldats.
- Ses projets du moment : continuer à mener sa carrière au plus haut niveau, jusqu’à faire partie du top 10 mondial des joueuses de tennis fauteuil. Continuer aussi son travail de transmission auprès des nouvelles générations, comme celui qu’elle a entrepris auprès de la jeune joueuse de tennis fauteuil, Cléo Ginterdaele. Et en 2026, gravir le Mont-Blanc (Pauline serait alors la première femme amputée d’un membre inférieur à le faire !). Bon à savoir : Pauline recherche des partenaires pour l’accompagner dans cette aventure sportive et humaine !
- Distinctions : décorée en 2021 de la Médaille de Chevalier de l’Ordre National du Mérite par Sophie Cluzel au Stade Roland Garros
A lire : (Im)possible de Pauline Déroulède, Ed. Harpercollins
A voir : le documentaire (Im)possible diffusé sur Canal+ en février 2025 et en replay.